Première représentation de ma dernière création. Un texte personnel et percutant.

Compagnie Essentiel Ephémère

Ecriture, mise en scène et jeu :  Renaud Rocher

Musique (auteur, compositeur et interprète live) :  Wendy Martinez

D’où vient cette putain d’odeur de cramé ? Les fours crématoires sont fermés depuis plus d’un demi-siècle. Cela ne vient plus d’Auschwitz ou de Buchenwald. Peut-être du Bangladesh alors. On vient juste de mettre le feu aux ruines du Rana Plaza pour effacer les preuves de commandes des multinationales amnésiques. Il restait sans doute quelques ouvrières du textile dans les décombres. Peut-être de Palestine, de Syrie ou du Yémen. Non... Trop loin. Aucune chance que cela n’arrive jusque ici. Les nuages toxiques, comme les clandestins sont arrêtés aux frontières de l’espace Schengen. Dans ma tête. Plus proche alors... Peut-être de nos banlieues, poudrière de bouc-emissaires, égorgeurs de moutons. Ou plus proche encore, de ma cuisine, de mon tout nouveau four à induction, j’ai mis des lasagnes de cheval surgelées à chauffer mais je me suis assoupi sur le canapé du salon après une demie-bouteille d’ouzo. Pour manifester mon soutien au peuple grec ou pour l’oublier je ne sais plus, j’ai oublié. J’ouvre les fenêtres, j’aère... Rien n’y fait.

Je me regarde dans la glace, ça vient de l’intérieur. Je crache du feu. J’errupte. Je suis un moteur à explosion, prêt à exploser. Je suis en train de brûler mes derniers centilitres de carburant. Et avec eux, toutes les impuretés du fond de cuve. Je prends un bain. L’odeur ne part pas. Je laisse couler l’eau,  la pression est forte. Elle ne demande qu’à sortir, trop à l’étroit dans ces tuyaux bas de gamme, remplacés à la va-vite par un plombier polonais à la veille d’une élection présidentielle. Je la regarde comme si mon salut pouvait venir de ce robinet que je viens d’ouvrir. La baignoire est pleine. L’eau commence à se répandre sur le sol et je me dis, que peut-être je vais enfin avoir l’occasion de rencontrer mes voisins... Il paraît que les inondations ont tendance à réveiller l’humanité en chacun de nous, que les mots solidarité et fraternité retrouvent de leur superbe lorsque qu’un cours d’eau sort de son lit. Il faut que je sorte du mien. Que je me vide.

Un homme  et sa  télévision. Les infos en continu. Une lucarne sur le monde.